Trois ans...

Publié le par Opale

Dans 9 jours cela fera trois ans que j'ai porté plainte .

La procédure est terminée, enfin, depuis que la juge a rendu son ordonnance en décembre dernier, me signifiant que Taré 1er aurait un procès aux Assises.

Trois ans.

J'ai avancé pendant ces trois ans, même moi je ne peux pas le nier . Je n'ai plus peur de lui, ou en tout cas plus peur qu'il me tue ou qu'il tue ma mère.

Il me reste "juste" la peur de sa folie, la peur du moment où à nouveau je l'entendrai parler, la peur d'être emportée dans son discours comme lors de la première confrontation. Ce ressenti est gravé en moi depuis le 29 mai 2012 , un départ dans la quatrième dimension et cette terreur de ne jamais en revenir.

J'ai avancé donc , sur cette peur et sur beaucoup d'autres choses plus ou moins importantes , j'ai cheminé, exprimé des choses , tenté de vivre de bons moments, pas que tenté d'ailleurs puisque j'en ai heureusement vécus réellement et qu'il ne pourra jamais me prendre ces moments.

J'ai vraiment fait du chemin.

Alors pourquoi ? Comment peut-on avancer autant en 3 ans de procédure judiciaire et de thérapie si c'est pour avoir encore aussi mal ?

Qu'est-ce que je ne fais pas correctement pour que tout ça n'aboutisse pas à un mieux-être plus long qu'une petite semaine de temps en temps ?

Cela ne fait que quelques mois que ma psychologue a commencé à parler de "sortie du déni", enfin une certaine forme de déni, le déni de ma souffrance, de mes émotions , la peur de ces émotions également.

Et ce qui est "bon signe" à ses yeux (et malgré tout aux miens aussi ) m'épuise.

Combien de temps faudra-t-il encore laisser venir ces émotions ? Combien de temps faudra-t-il accepter ces moments seule à la maison à parler à un nounours comme s'il était cette petite fille en moi qui me hurle sa solitude et sa terreur ?

Combien de temps à revivre ce sentiment de solitude d'enfant, sentiment que j'avais quasi totalement oublié, ou dont je ne me souvenais que factuellement .

Combien de temps à sentir par moment la peur de la petite ado que j'étais, cette peur qui "sait" qu'il va agir, cette peur de l'impuissance à venir.

Il y a encore peut-être moins d'un an la majorité de tout cela n'était que des mots, mais cela devient désormais des émotions, réelles, concrètes et qui viennent me mettre à terre et me terrifier parce que je suis seule avec elles, seule à la maison à ne pas savoir quoi en faire à part tenter d'écrire sur le cahier prévu à cet effet pour ma psy.

Oui elle me le dit ce n'est pas mauvais signe, on a attendu ces émotions tellement longtemps , maintenant il est important que je puisse m'y confronter mais j'en ai marre ce soir, elles dévorent mon énergie, elles s'imposent sans prévenir , ou ne prévenant parfois que par ce froid soudain qui précède vagues de souvenirs et crises de larmes.

Je n'ai plus peur de tout ça dans le bureau de ma psy, mais chez moi c'est si compliqué.

Que faire, que dire, à qui expliquer tout ça ? Je voudrais parfois que quelqu'un rentre dans ma tête pour comprendre instantanément ce qui s'y passe .

Au quotidien on croise peu de gens qui attendent une réponse sincère à leur " ça va ? " mais même s'ils en attendaient une , tout semble parfois si fou que ce n'est pas explicable.

Qui va entendre que je suis épuisée parce qu'une petite fille de 8/9 ans en moi (enfin moi bien sûr, je ne suis pas encore folle je vous rassure) ne cesse de m'envoyer les émotions du passé ?

Comment dire à quelqu'un "je la vois si loin des adultes, si transparente, si seule , personne ne se préoccupe qu'elle ne fasse que survivre"

Heureusement il y a le forum de victimes d'inceste que je fréquente, là-bas on n'est jamais folle de dormir avec un nounours ou de parler à une "petite fille intérieure" , jamais folle (pour celles qui le font, heureusement par chance pas moi ) de s'auto-mutiler ou de se prostituer entre autres.

Même aux personnes ouvertes et qui comprennent je ne peux pas tout dire, parce que c'est trop violent, c'est une réalité que peu ont envie d'entendre vraiment, ou alors ils en ont envie mais n'imaginent pas une seconde ce qui pourrait leur être dit si vraiment il n'y avait pas de tabou . Le but n'est pas de choquer ou effrayer ceux qu'on aime. Le but n'est pas non plus de mettre mal à l'aise des personnes qui attendent une réponse sincère à un "comment ça va ? " .

Pourtant ma réalité n'est ni pire ni meilleure que celle de quelqu'un qui est malade ou qui a perdu un enfant, mais elle est peut-être plus effrayante pour autrui .

Bref je suis fatiguée ce soir et je cherche encore et encore à trouver de l'espoir parce qu'une nouvelle fois je n'en ai plus, parce qu'une nouvelle fois les idées noires me tournent autour.

Je cherche encore et encore ce que je ne fais pas correctement, je me dis que tout de même si j'ai avancé en 3 ans je devrais aller mieux.

Je sais pourtant que "avancer" en thérapie ne veut pas forcément dire se sentir d'un coup beaucoup mieux mais peut aussi vouloir dire oser regarder la réalité en face, oser la ressentir. Je sais que c'est pour cela que ma psychologue trouve absolument normal (mais douloureux) ce que je vis encore ces derniers temps.

Trois ans bientôt pour cette procédure judiciaire . 11 ans bientôt pour la première fois où j'ai révélé mon secret sur le forum d'une association.

J'ai si honte parfois de tout ce temps passé.

J'ai surtout si peur, peur que ça n'en finisse jamais...

Edit du 23/01/2014 : Non, finalement la procédure n'est pas terminée. J'apprends aujourd'hui qu'il a fait appel.

J'apprends surtout que toute personne pour qui le juge d'instruction décide d'un envoi aux assises peut faire appel de cette décision et donc demander à ce que la chambre d'instruction (d'autres magistrats donc) revoie le dossier et donne sa propre décision, décision qui annulera la précédente.

Le 14 février 2014 , ils se réuniront donc avec son avocate et la mienne afin de savoir s'ils confirment le renvoi aux assises ou s'ils décident d'un non-lieu.

Il paraît qu'il est rare qu'ils prennent une décision contraire à la première. Je l'espère.

Je ne savais pas que cela était possible, mon avocate ne me l'avait pas dit, vous imaginez mon état.

Qui s'étonne encore que peu de victimes portent plainte ?

 

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