Et le procès eut lieu... (partie 2)

Publié le par Opale

25 juin 2015 .

Je me souviens très peu de cette première matinée, tout est embrouillé par le stress, l’angoisse. Ce dont je me souviens c’est de retrouver des lieux horriblement familiers, des personnes aussi , que ce soit les avocats de Taré 1er ou ma géniale avocate , ou encore la présidente et l’avocat général, le journaliste suivant le procès et bien sûr D.

Cette fois je savais que je n’aurais pas à faire semblant de tenir le coup longtemps devant ma famille puisque rapidement ma mère, ma nièce et ma sœur seraient invitées à aller faire un tour dans la ville pour revenir seulement l’après-midi afin d’être auditionnées.

Tout était comme en mars, mais cette fois, enfin, nous allions aller au bout de ce procès, ce qui impliquait aussi évidemment le moment terrifiant où il faudrait passer à la barre.

Entre humour noir et bienveillance, nous nous sommes installés, D. à ma gauche, mon avocate à ma droite, vaillante dans son fauteuil roulant, et sa jeune stagiaire près d’elle.

La suite de la matinée me paraît très très floue, c’est là que j’aimerais avoir une trace écrite de tout ce qui s’est dit. Je sais que Taré 1er a été interrogé , c’était le moment où il fallait tenter de présenter sa personnalité aux jurés et la Présidente tentait donc d’obtenir des réponses d’un Taré 1er version mollusque (il n’était vraiment pas très réactif ) et sourd (il semblerait , sauf si c’était du bluff, qu’il n’entende quasi plus d’une oreille ). Tout un programme . Je pense que déjà l’étrangeté du personnage apparaissait mais on était extrêmement loin de la suite , des propos qu’il aurait le lendemain notamment à la barre.

En tout cas il me semblait vieux, de plus en plus vieux. Je tentais en vain d’accrocher son regard, mais il était impossible de voir s’il me regardait . Je pense qu’il ne me faisait plus peur, plus vraiment, mais j’avais mal, très mal de le voir tel que je l’ai toujours connu : inatteignable.

Tant et tant de fois on a eu du mal à me croire quand je disais qu’il s’en foutait de tout, de vivre, de mourir, d’aller en prison. Je pense que ceux qui ont assisté à ses auditions ont pu pleinement prendre conscience de cette réalité folle. Je le savais je ne pourrais pas l’atteindre et pourtant la petite fille en moi le voulait encore désespérément.

Sa folie, son caractère étrange est sûrement apparu relativement rapidement aux jurés, notamment quand la raison officielle de son absence au premier jour du procès de mars a été évoquée. Cette raison était , je le rappelle que sortant de chez son avocat qui lui avait conseillé de mieux se vêtir pour le procès ( au vu de son hygiène déplorable notamment) , il serait allé s’acheter des vêtements, et aurait eu une « absence » , ne sachant plus comment rentrer chez lui . Personne n’y a cru je pense même si le contraire était improuvable, ou qu’en tout cas le but n’était pas de le prouver.

Ce moment de la matinée reste donc assez flou pour moi, ainsi que la suite, à savoir l’audition des deux experts psychiatres et des deux experts psychologues qui l’ont examiné.

Au-delà de la question de savoir si, au cas où les faits seraient avérés , il serait responsable de ses actes, question rapidement conclue par un oui massif, il y avait tout un « mystère » autour de sa mémoire. En effet tout au long des cinq ans de procédure il n’a cessé de déclarer qu’il ne se souvenait de rien , qu’il avait de toute façon des pertes de mémoire suite à un soi-disant accident de scooter dont je n’ai plus jamais entendu parler après le premier procès-verbal de garde à vue.

Il ne se souvenait de rien donc et disait en substance qu’il ne voyait pas pourquoi je mentirais, mais qu’il n’allait « quand même pas dire des choses dont il ne se souvenait pas » . Il a avec une poésie certaine ajouté lors de la première confrontation que « des abus quotidiens ce serait surprenant, n’étant pas de nature gourmande à la base » . Oui c’est ça la grande classe. Et dans sa grande mansuétude il a demandé au policier en fin de confrontation, avant de rejoindre sa cellule de garde à vue « si jamais je me souviens de quelque chose, je vous rappelle ? » . Ouais, autour d’un thé tiens…

Lors de sa garde à vue d’ailleurs, à force de répéter qu’il ne se souvenait pas, la question lui a été posée de savoir s’il avait tué quelqu’un. Réponse « je ne sais pas » . J’admire la patience du policier qui a fait ces différentes auditions.

Les différents experts devaient donc se prononcer sur la réalité de ses troubles de la mémoire, et les avis divergeaient un peu, d’où les demandes de contre-expertise. Pour les uns, les troubles étaient possibles, notamment suite à des années d’alcoolisation massive, pour d’autres ces troubles étaient factices et servaient une personnalité manipulatrice et quasi psychotique (mais pas vraiment, tout est dans la nuance ! )

Autant dire que quatre experts qui s’expriment à la suite, avec le vocabulaire adéquat, les questions des avocats, de la Présidente et autre, j’ai été totalement saturée d’informations et je ne me souviens que de peu de choses.

Je sais en tout cas que Pipo et Mario (les avocats de Taré 1er) faisaient tout leur possible pour faire dire aux experts si OUI OU NON il avait commis ces actes sur moi. Cela n’étant absolument pas leur rôle, aucun ne s’est laissé faire et ils se sont contentés de faire ce qu’ils avaient à faire , répondre à des questions précises.

Même si leurs avis divergeaient un peu, au final il a été établi que si jamais Taré 1er avait des troubles de la mémoire, et au vu des divers tests et entretiens, ces troubles ne concernaient pas la mémoire à long terme (il était d’ailleurs très précis quant à son passé ) , ce qui impliquait qu’il ne pouvait avoir oublié ce qu’il m’avait fait .

Je me souviens de discussions animées entre mon avocate et ses avocats autour de phrases présentes dans les expertises et volontairement citées tronquées par Pipo et Mario, je me souviens de ce sentiment si rassurant d’être défendue et bien défendue, car mon avocate était très, très loin d’être du genre à se laisser faire . C’est une des choses qui peut aider dans un procès quand on a un bon avocat, se sentir défendue, épaulée, l’inverse donc de ce qui a existé dans l’enfance maltraitée.

Pendant qu’on écoute tout cela, les questions, les réponses, les extraits d’expertise, il est bien difficile de ne pas réagir, de ne pas intervenir, mais c’est ainsi , on ne parle que quand on nous le demande et au final dans un procès, on nous le demande peu, mis à part le passage à la barre. Pour le reste il faut laisser gérer son avocat(e) et lui transmettre éventuellement quelques remarques. Cela dit je ne sais pas vraiment si mon cerveau était en état de quoi que ce soit. J’entendais, j’absorbais, j’étais là et ailleurs à la fois, je le voyais lui sans cesse en face de moi, j’entendais parler de lui, j’entendais parler de sa « folie », et ça me déchirait régulièrement le cœur de réaliser avoir vécu dans cette folie. Je voyais bien autour de moi les personnes soit surprises soit consternées (et encore il était loin d’avoir fait son plus beau numéro ) , les policiers qui avaient du mal (et je les comprends mille fois) à ne pas rire face à des réponses parfois totalement aberrantes. Je voyais tout cela et je réalisais que moi, de mes 8 ans environ à mes 25 ans j’étais en plein dans tout cela, engluée, le cerveau dévoré à chaque seconde . Encore une fois je pensais à ma psychologue qui à maintes reprises m’avait dit que je ne m’en sortais « pas si mal » au vu de la vie dans un tel contexte et avec un tel personnage.

Après la pause déjeuner le moment était venu d’entendre ma famille. J’avais décidé depuis des mois de ne pas assister à leur audition, j’étais donc dans le hall lors de l’audition de ma sœur, puis de ma nièce. Je ne sais donc pas vraiment ce qu’elles ont déclaré, je n’ai pas demandé grand-chose à ce propos ensuite, je sais juste qu’elles ont confirmé son étrangeté, sa violence verbale envers ma mère, ses propos mythomanes, le fait qu’il n’ait à aucun moment donné un seul centime à ma mère pendant toutes ces années. Et ma personnalité, discrète, réservée, très réservée, trop peut-être, ainsi que l’immense naïveté de ma mère.

J’attendais donc dans le hall , il y a eu une pause il me semble. Dans ces moments de pause, soit je passais un petit coup de fil à ma maman de cœur, soit je discutais avec mon avocate, D. et le journaliste présent et très bienveillant.

Tout le monde est rentré, c’était au tour de ma mère d’être entendue. J’avais pour ma part pu lire les PV de son audition à la police et chez la juge d’instruction, et cela avait été suffisamment difficile pour que je ne souhaite pas réentendre tout cela (notamment des questions crues sur sa (non)sexualité avec Taré 1er) . J’attendais donc dans le hall quand D. est venu me chercher à la demande de la Présidente. Je devais venir entendre ma mère, elle pensait que c’était nécessaire. J’avais sûrement la possibilité de refuser mais je n’ai pas osé, trop impressionnée par cette Présidente, trop terrifiée par d’éventuelles conséquences. La mort dans l’âme j’y suis allée. Cela nécessite je pense un article complet.

A suivre donc…

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Publié dans La plainte

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